WESTERLY WINDINA, UN ALLER-RETOUR DE GENRE

WESTERLY WINDINA, UN ALLER-RETOUR DE GENRE

Collaborateur régulier de Hotdogger depuis sa création, Jamie Brisick a consacré des années de sa vie à écrire un livre, puis tourner un film sur l’aventure personnelle et ô combien fascinante de Peter Drouyn, célèbre surfeur viril des années 1970 qui a exprimé et entrepris une transition de genre sur le tard… pour finalement regretter ce choix. Dans notre 30e numéro (automne 2024), l’auteur et réalisateur revenait sur les déboires d’une relation faite de passion, de fatigue émotionnelle et aussi d’amour. Il présente son film le mercredi 27 août au festival du film de surf d’Anglet.

Peter Drouyn surfant Burleigh Heads (Gold Coast, Australie) dans les années 70. Photo : Dick Hoole.

Une anecdote avec Peter Drouyn m’est restée gravée en tête pour toujours : nous sommes dans son salon chez lui sur la Gold Coast, Peter est assis sur une chaise, le réalisateur Alan White et moi debouts derrière la caméra sur son trépied. Nous avions suivi Westerly Windina pour leur opération chirurgicale de réassignation de genre, et au 50e anniversaire des Oscars du surf australien, où, tout à leur surprise, ils furent embrassés avec effusion. Très récemment, nous venions d’apprendre que Westerly avait décidé de redevenir Peter. Alan et moi avons voyagé depuis Los Angeles jusqu’à la Gold Coast pour comprendre pourquoi. Westerly était une rêveuse. Parallèlement à ses accès d’auto libération, ils avaient espéré relancé une carrière dans le show business pour « chanter et faire des sketches humoristiques ».

Après avoir expliqué comment ils étaient tombés dans une dépression post-opératoire – « un an et demi d’un enfer absolu » – la question se fit supplique : « Westerly avait-elle réalisé que ses rêves de show business avaient toujours été là ? ». ça manquait cruellement de tact mais je ne pouvais pas m’empêcher de lui demander.

Peter pris un moment pour y penser. « Oui, je crois. Je le crois parce qu’elle était dans le coin, elle était dans cette séquence. Il apparaît que [Westerly] était juste une sorte de fluctuation, une sorte de mutation/métamorphose qui était venue et qui a disparu, comme un caméléon ou quelque chose comme ça. » Il y a un millier de manières d’interpréter ces propos, et j’ai envisagé la plupart d’entre elles. C’est pourquoi j’aime Peter/Westerly. Ils ont sondé les grandes questions. L’identité est-elle innée ou est-ce quelque-chose que l’on forge ? Se débat-elle avec le tempérament inévitablement douloureux, ou pouvons-nous glisser et passer outre ? Et quelle est cette satanée « bonne vie » que les anciens Grecs évoquent, et à quoi cela ressemble-t-il ici dans ce début de XXIe siècle ? Et si un arbre tombe dans la forêt, par exemple, qui en saura quelque chose ?


Ma fascination commença en 2009 quand j’écrivis un portrait de Westerly Windina pour The Surfer’s Journal. Le papier faisait des va-et-vient entre l’histoire et la biographie de Peter Drouyn et la situation délicate des temps présents, les rêves et les exigences de WW (avec le réassignement chirurgical en ligne de mire). Il y avait clairement un avant et après. Westerly parlait de Peter à la troisième personne et au passé. Ils confondent souvent leurs pronoms.

J’étais ravi pour plusieurs raisons. Même avant que Peter ne devienne Westerly, ils étaient en haut de ma liste intitulée « pour le Prix du surfeur le plus intéressant de la planète ». Au firmament de leur pouvoirs athlétiques, ils avaient laissé tomber le monde du surf pour étudier l’art dramatique à la prestigieuse NIDA (National Institute of Dramatic Art). Puis ils revinrent sur le devant de la scène pour inventer le surf d’homme à homme pour le Stubbies Por de 1977. Puis ils enchaînèrent le championnat et finirent au 6e rang mondial. Puis, peut-être au moment où leur carrière s’estompait, ils ont mis au défi le quatre fois champion du monde Mark Richards dans ce qu’ils appelèrent The Superchallenge, une sorte d’épreuve de force à la Rumble in the Jungle* pour lequel ils avaient acheté des pubs dans les mags de surf les représentant habillés en caleçon, recouverts de ketchup, les mots « je vais tuer ou être tué » barrant la page. Ils ont aussi introduit le surf en Chine en 1985. Ils ont designé et déposé un brevet pour le Drouyn Wave Stadium (aux alentours de 1980)*. Et la liste continue.

Mais ce qui m’attirait le plus à propos de Westerly Windina était la manière dont ils avaient par inadvertance fait évoluer les choses. La sensibilisation de la question trans a heureusement fait de grands progrès dans la dernière décennie, mais quand Westerly sortit pour la première fois en public, ses pairs et ses contemporains furent sidérés. Ils ne savaient pas quoi faire avec cette aberration au sein de la culture surf de bonhommes.

Résolu à creuser plus profond pour savoir qui est Westerly Windina, et qui était Peter Drouyn, je fis équipe avec Alan White pour réaliser un documentaire intitulé provisoirement Westerly. Nous avons depuis connu de véritables montagnes russes avec Westerly/Peter. Nous les avons aimés et ils nous ont occasionnellement répugnés. Puis repartîmes dans un amour profond. Puis n’avons souhaité ne plus jamais leur parler. Puis nous sommes retombés amoureux. Un mariage en quelque sorte.

Nous étions en post-production lorsque nous apprîmes que Westerly avait choisi de redevenir un homme. Ça nous choqua tous – Westerly elle-même. Après notre visite précédemment mentionnée, nous en étions arrivés à un nouveau titre : La vie et la mort de Westerly Windina. Qu’avais-je appris de mon temps passé avec Westerly/Drouyn ? Que l’identité est obscure. Que le subconscient fonctionne d’une manière mysterieuse. Que juste au moment où l’on pense connaître quelqu’un… Et que jusque lorsque l’on pense se connaître soi-même… La gentillesse, la compassion, et l’humilité sont essentielles, parce que quelles que soient les convictions que l’on pense avoir elles sont sujettes à un effacement rapide.

La dernière fois que j’ai vu Peter, ils habitaient sur la Gold Coast, chérissant leur fils Zac, écrivant des sketches, des pièces, des scénarios et des romans. Et bodyfsurfant. « Je perfectionne encore ma technique » nous dirent-ils. Quand nous leur avons demandé si on pouvait les filmer ils répondirent : « Oui, mais pas sous l’eau. Ce que je fais là-dessous est top secret. »

Jamie Brisick.

* Note du traducteur : le mythique combat de boxe en 1974 entre Mohammed Ali et Georges Foreman à Kinshasa au Zaïre, aujourd’hui République démocratique du Congo.

* NDT : Drouyn accusa même Slater de l’avoir copié avec The Kelly Slater Waveco.

Lire La Plus Belle pour aller surfer du même Jamie Brisick
dans
Hotdogger #2 (printemps 2015).

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