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LE PREMIER JEDI

LE PREMIER JEDI

Lorsque l’un des plus grands surfeurs de tous les temps, au style inimitable fait l’objet d’un documentaire réalisé par l’un des meilleurs skateurs de l’histoire, on obtient The Yin and Yang of Gerry Lopez de Stacy Peralta, un film poignant sur celui dont le nom est lié à jamais aux vagues de Pipeline et G-Land comme à la saga des planches Lightning Bolt. Le Lord of Dogtown qu’est Peralta ne pouvait trouver meilleur sujet sur la dualité, le succès, l’échec et la renaissance. Maintes fois tenté par le côté obscur de la Force du surf, Gerry Lopez n’en est pas moins le premier des Jedis.

Propos recueillis par Erwann Lameignère. Portraits par Romain Laffue.

Photo : Jeff Divine.

Qui a eu le premier l’idée de faire un film sur la vie et l’héritage de Gerry Lopez ?

Gerry Lopez : Quand Stacy a réalisé (en 2003 NDLR) Riding Giants, nous en avons parlé comme une idée pour un futur un peu lointain.
Stacy Peralta : Mais cela a pris du temps. Nous savions qu’il y avait une énorme quantité de rushs, mais il nous a fallu les localiser et cela nous a pris beaucoup de temps d’appeler tous les détenteurs d’images et d’aller les chercher dans leurs terriers ! Et ça n’a pas été facile de bosser avec tout le monde. Mais on a insisté et a continué. On a réussi à avoir des images que certains ne voulaient pas voir montrées.

Comment on écrit un film, même si ce n’était pas un de vos proches, sur quelqu’un qu’on aime ? Comment garde-t-on une distance ?

SP : Je ne connaissais pas les détails de sa vie. Et il m’a fallu aller les chercher. Poser des questions à ses amis, sa famille, ses proches.

Le choix de commencer par ce qu’il y a de moins sympathique dans le film, le fait que Gerry n’hésitait pas à piquer les vagues des autres surfeurs plutôt qu’avec les sempiternelles et soi-disant valeurs du surf ?

SP : Nous n’avions pas écrit le film comme ça originellement, c’était un passage situé à la fin du film. Lorsque nous nous sommes rendus compte que nous tenions un super film, nous avons opéré ce changement et pensé que ça permettait de mettre en place l’explication du Yin et Yang de Gerry, de sa philosophie comme un défi, qu’il a expérimentée toute sa vie dans l’eau et en dehors, dans le surf comme le yoga. Il y a des choses très similaires dans les deux, mais aussi très opposées, très réactives et agressives, et une tendance à rechercher la paix intérieure. Les réunir c’était écrire l’histoire de sa vie.

Les valeurs du surf ne sont-elles pas un mythe ? Un message marketing du type l’océan est à tout le monde…

SP : Oui jusqu’à ce que la prochaine vague arrive (rires) !

Vous rappelez que le surf c’est vraiment égoïste…

GL : Pour être franc, je crois que vous (les Français NDLR) avez une approche plus philosophique que la plupart des surfeurs américains. L’une des premières choses qui m’a fait surfer c’était la Glisse (en français dans le texte NDLR). Il y avait ce livre que son auteur Yves Bessas m’a donné à Biarritz dans les années 80 intitulé La Glisse, et cela révélait que c’était un sentiment beaucoup plus profond. L’attraction que suscite le surf, le fait qu’il est difficile de la verbaliser. Cela expliquait pourquoi les surfeurs mènent toute leur vie pour surfer davantage. C’est une part très importante du surf.

La progression constante que tu évoques dans ton livre (Surf is where you find it), est-ce aussi un de ses moteurs essentiels ?

GL : N’importe qui prenant une planche et allant surfer veut trouver comment mieux surfer. Surtout pour moi qui shape des planches, il y a toujours un peu plus de rocker à donner, un autre tail, ou juste un rail plus fin à shaper. Et si c’est ta manière d’appréhender ton talent, en essayant d’avoir une meilleure planche, c’est que cela remonte aux Hawaiiens des origines : le premier pas est de faire une planche, ou plutôt le premier pas est de ressentir cette glisse puis très vite d’essayer de l’améliorer pour avoir la meilleure planche.
SP : Une chose que Gerry dit souvent c’est que bien qu’il ait gagné des compétitions, la maîtrise était pour lui très importante. Gagner n’était pas aussi important que sa maîtrise des choses. Quand tu regardes le film, tu vois que dans tout ce qu’il entreprend il recherche avec discipline la maîtrise de ses talents. Il apprécie shaper peut-être maintenant plus que jamais auparavant. Et c’est assez impressionnant, lorsque l’on sait qu’il a fait ça pendant plus de cinquante ans.

Photo : Art Brewer

Je crois que l’un des paradoxes dans la vie, c’est que lorsque l’on veut définir ce qui se passe ou ce qui va se passer, lorsqu’on met le doigt sur quelque chose, ça s’est déjà évanoui.
— Gerry Lopez

Il y a un équilibre délicat entre l’appréciation du moment présent et l’envie de progresser, d’en avoir plus. Par exemple, sans la faillite de Lightning Bolt, il n’y aurait pas eu cette découverte de l’Indonésie et en particulier de G-Land…

GL : Je serai probablement en train de bosser dans un bureau et je serai énorme (rires) !
SP : On l’évoquait au Portugal avec un membre du public après une séance. Si Gerry a vraiment réussi quelque chose dans sa vie, c’est qu’il a laissé ce qu’il a fait dans le passé sans tenter de le nettoyer. C’est ce qui lui a permis de se libérer et d’avoir un futur. La plupart des gars qui ont ce genre d’expériences à Pipeline n’ont pas envie qu’on le leur rappelle. Il est passé à autre chose sans essayer de s’y accrocher. Il faut laisser tomber cette identité et cet égo. Et il l’a fait si bien et il le fait si bien encore aujourd’hui.

Le talent n’est-il rien sans chance ?

SP : Sans diligence !
GL : Je crois que l’un des paradoxes dans la vie, c’est que lorsque l’on veut définir ce qui se passe ou ce qui va se passer, lorsqu’on met le doigt sur quelque chose, ça s’est déjà évanoui.

Gerry, tu rappelles que ton père qui est venu vivre à Hawaii a tenté de ne pas modifier son environnement et de s’y adapter… L’impact qu’a eu la découverte que vous avez faite de G-Land est paradoxalement important. Comment peut-on contrôler l’empreinte qu’on laisse et ce que l’on provoque ?

GL : Dans tout le processus qui consiste à essayer d’être un meilleur surfeur et faire de meilleures planches, je n’étais pas le seul ! Le sport s’est développé. Et difficile de se dire que ce qui est bon pour moi, n’est pas bon pour les autres. Si j’aime ça, c’est normal qu’eux aussi…
SP : Je crois que si on ramène ça à ce que disait le père de Gerry, ils sont allés à G-Land et ils n’y ont pas construit d’hôtel, ils n’ont pas construit de routes, ni installé de ligne téléphonique… Ils se sont adaptés à leur environnement. Ce qui a suivi n’est pas la faute de Gerry. C’est juste qu’il a été un pionnier.

Recommanderais-tu encore aujourd’hui aux enfants et surtout ceux qui surfent de ne pas porter de chaussures jusqu’en sixième comme lorsque tu étais petit à Hawaii… ?

GL : Je ne sais pas (rires). Il y a beaucoup plus de choses sur lesquelles il est impossible de marcher, tout ce ciment… Mais il est vrai qu’à l’époque, à force de ne pas porter de chaussures, tu pouvais même marcher sur les routes, ça ne brûlait pas les pieds parce qu’ils étaient résistants. Mais encore aujourd’hui c’est bien de les enlever, non seulement pour tes pieds mais pour ta posture.

Bill Finnegan m’a demandé si par chance, la mode du surf allait passer… Le skateboard a été très à la mode puis est retombé avant de repartir, et aujourd’hui le surf l’est tellement… trop ?

SP : Depuis que je suis en Europe, je pense que le surf va devenir quelque chose qu’on ne peut même pas imaginer. Surfer des vagues dans l’océan n’est que le début. On va avoir des générations de gamins qui vont surfer dans des piscines à vagues, ou dans des rivières, et ils n’auront jamais vu l’océan. Ils vont surfer en foil peut-être même loin des plages. Ce que je pensais être le surf est quelque chose très éloigné désormais. Devant notre hôtel, il y avait une vague très mollassonne et il y avait plein de longboardeurs qui bataillaient dessus, comme des quilles de bowling qui tombaient, et ce gamin qui ne surfait même plus sur une vague, mais sur une sorte de surface plane.
GL : Oui ça n’arrête pas d’évoluer.
SP : C’est ça, ça évolue en permanence. Gerry continue d’évoluer. Il apprend encore toutes les formes de surf. Il s’essaie à tout (funboard, kite, foil… comme on le voit dans le film NDLR). Si tu veux réussir quelque chose en matière de surf, tu dois apprendre à être un blaireau d’abord. Même quelqu’un de sa réputation, se permet d’apprendre de nouvelles disciplines.

En vous écoutant et en reliant l’incursion de Gerry dans le cinéma avec ses rôles dans Conan le Barbare ou L’Adieu au Roi, je me dis que Gerry a peut-être inspiré le concept de Jedi…

SP : (Rires) Je disais à Gerry aujourd’hui que lorsque nous parlions à John Milius (le réalisateur de ces deux films NDLR) de sa collaboration avec lui, il nous a dit : « Si Gerry n’était pas né, j’aurais inventé un personnage comme lui ».

C’est d’ailleurs John Milius qui a écrit cette séquence ultime du colonel kilgore dans Apocalypse Now (F.F. Coppola, 1979) qui rase au napalm les alentours d’un spot pour pouvoir surfer… L’un des meilleurs personnages de surfeurs au cinéma.

SP : C’est le portrait le plus réaliste jamais fait d’un surfeur sur grand écran.

Surf is where you find it de Gerry Lopez (2015, éditions Patagonia)

The Yin and Yang of Gerry Lopez (Etats-Unis, 2022, Stacy Peralta, 1h32) bientôt en ligne.

Stacy Peralta et Gerry Lopez à Saint-Sébastien (Espagne) le 16 juillet 2022.

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