VOLER DE VAGUES EN VAGUES
Quoi de mieux que l’hydravion pour enchaîner les spots distants de plusieurs milles marins ? Surtout dans des archipels tels que les Maldives qui regorgent de vagues sur plus d’un millier d’îles éparpillées. Et lorsque Shane Dorian, Neco Padaratz et notre ami Jamie Brisick sont du voyage, plus possible de résister.
Texte : E. Lameignère - Photos : Peter "Joli" Wilson (sauf mentions)
Résister n’a en fait jamais été à l’ordre du jour. Lorsque le Four Seasons nous a contactés pour nous inviter aux Maldives, on n’a pas vraiment réuni de conseil de rédaction pour discuter de la couleur des tongs que nous allions enfiler. Découvrir le Four Seasons Maldives, bien tester tous les menus et les trois restaurants et autant de piscines, dormir dans un bungalow plus grand que mon appartement avec trop de douches pour toutes les essayer en six jours, surfer à tu et à toi avec Brad Gerlach après les trois séries quoti- diennes du Surfing Champions Trophy (vraie raison de notre venue), remonter à bord du Four Seasons Explorer, ses trente-neuf mètres, ses cabines climatisées au wifi satellitaire (pour bosser, enfin surtout faire baver ses amis car les réseaux sociaux sont faits pour ça), déguster des petits fours et siroter du thé glacé servis par d’impeccables majordomes aux gants blancs, discu- ter avec les confrères de la presse internationale entre deux bouchées ou avec Sofia Mulanovich, seule femme invitée – mais quelle surfeuse ! –, montrer à Dave Rastovich sa double page shootée par Pete Frieden quelques semaines plus tôt lors d’une session épique en Indoné- sie et déjà publiée dans notre troisième édition, repartir surfer car ce n’est pas tout : oui franchement, c’est indécent. N’écoutant que notre courage de reporters de beaux hôtels, on s’est dit que le défi était à notre portée. Et nous avons filé en plein mois d’août découvrir ce palais insulaire nommé Kuda Huura.
Le Four Seasons est l’un des premiers hôtels à concentrer ses efforts pour séduire une clientèle surf résolument haut de gamme : jeunes publicitaires ayant vendu leur première agence, musiciens ou acteurs, ou surfeurs ayant tout simplement réussi ; il existe dorénavant, et de plus en plus, des surfeurs fortunés. On est très loin des losmen indonésiens et des cabañas d’Amérique centrale. Pour autant, le calme absolu de l’environnement et la volupté enivrante du site séduisent là où trop de spots connus sont envahis de fêtards et de touristes qui dénaturent les lieux par leur présence bruyante.




Neco Padaratz
Pour asseoir la qualité de son service surf, le Four Seasons Kuda Huura a fait appel à Tropic Surf, une agence australienne spécialisée dans le trip haut de gamme. Créée par Ross Phillips, un Néo-Zélandais habitué des expéditions extrêmes et diplômé d’enseignement et d’éducation en plein-air (oui, ça existe aux antipodes et ça s’appelle le outdoor education), Tropic Surf n’est pas une simple agence de voyages : c’est un savant mélange d’Agence tous risques et d’un service de conciergerie platinum. L’équipe de Ross n’est constituée que de Navy Seals croisés avec des stewards de première classe. Grâce à la méthode que Ross a mise au point, leurs clients surfent à un niveau qu’ils n’auraient jamais pu imaginer. Ça n’est pas du coaching, c’est de l’optimisation du surf au plus haut degré entre choix des bateaux, des spots, des conditions, du matériel et du timing. Vous êtes vraiment débutant et savez à peine prendre une vague de travers ? Jacob Stuth, l’un des élégants matelots de Ross, vous fera faire le ride de votre vie. Vous perdez votre longboard parce que la série a pété outside ? Jacob vous laissera sa planche et ira la chercher à la nage, derrière le reef. Vous êtes un surfeur aguerri ? Il vous montrera alors la meilleure trajectoire pour vous caler dans un gros tube ou tout simplement le meilleur endroit pour choper la série.
Alors quand l’équipage du surf trip est constitué de l’impassible Shane Dorian et du bouillonnant Neco Padaratz, c’est à leur niveau que se met en branle la machine Tropic Surf. Jamie Brisick, ancien surfeur professionnel des années 80-90 devenu écrivain et qui collabore à nos colonnes (cf. La plus belle pour aller surfer dans Hotdogger #2), est aussi du voyage. La destination ? Les atolls du sud bien moins fréquentés. Après avoir surfé un Sultans parfait oscillant entre un bon mètre cinquante et un deux mètres tubulaire et lisse, Shane Dorian, qui a gagné la compétition dans les catégories thruster et twin, respectivement devant Neco Padaratz et Dave Rastovitch, a encore faim. L’homme a toujours faim. On le sait passionné de chasse à l’arc ou à l’arbalète et dite « naturelle ». Il ne résiste donc pas à l’idée d’une excursion en hydravion nous évitant plus de dix heures de bateau pour surfer dans les recoins les moins visités des Maldives. S’il a déjà volé en hydravion pour aller surfer, Neco et Jamie feront leur baptême ce jour-là (comme l'auteur de ces lignes). Dans le bateau qui nous emmène à l’embarcadère, Shane Dorian rappelle les conditions épiques de son premier vol, au Mexique, avec une houle énorme, où tout l’équipage et les passagers avaient cru y passer. Ambiance ! Car si l’esthétique des pubs pour cigarettes ou pastis des années 80 est au rendez-vous dès que l’avion se pose sur la mer d’un bleu translucide, c’est une savante répartition des planches de surf qu’il faut agencer pour faire voler onze individus dans un si petit appareil, le DHC-6 Twin Otter, fut-il de la compagnie nationale Maldivian et prévu pour 15 passagers. Monte une petite angoisse que le récit de Dorian n’a pas aidé à dissiper bien au contraire. Et pourtant ! Le décollage se fait en quelques centaines de mètres avec cette impression de légèreté qui se transforme vite en un sentiment tenace de fragilité. Voir défiler les atolls est un spectacle époustouflant. Pointer du doigt sur la carte du pilote notre destination est absolument grisant. Repérer les lignes qui s’enroulent sur le spot quarante minutes plus tard est surréaliste. Et c’est à demi-conscient, avec un sourire idiot figé sur nos lèvres qu’on s’imagine surfer dans quelques instants la vague autour de laquelle tour- noie une dernière fois notre hydravion.
Shane Dorian
À proximité des flotteurs, s’arrime un petit bateau. Il nous récupère avec précaution et nous emmène près de The Peak, un spot désert qui, selon Ross à la tête de notre excursion aérienne, prend bien le swell. C'est une droite triangulaire sans être tubulaire – de ce qu’on en a vu. Shane Dorian préférant attendre, on saute à l’eau avec la sensation un peu étrange de devoir danser en tutu devant Barychnikov ou Benjamin Millepied pour une audition. Mais là encore pourquoi résister à ce beau take-off ? Neco Padaratz nous rejoint finalement assez vite, pour trouver la vague trop courte malgré quelques beaux rollers (une seule section après Sultans c’est toujours un peu court). C’est alors que se dessine la fausse jumelle de The Peak, bien plus à l’intérieur, là où le récif affleure : Sledgehammer. Avec la marée montante, Dorian vient taquiner ce slab, véritable masse qui s’enroule et s’évide ne laissant qu’à peine vingt centimètres d’eau sous elle. Après quelques vagues de chauffe qu’il analysera avec son flegme habituel : « au début, j’ai cru que mes dérives allaient toucher mais là ça devrait aller », Shane n’a pas tardé à enfiler les tubes aussi techniques qu’attirants. Neco s’y essaie à son tour, ainsi que Jamie Brisick venu au préalable faire quelques beaux virages sur The Peak avec son style impeccable. On finit par admirer Shane Dorian amadouer le spot mieux que quiconque. Avec une proximité étonnante entre enfer du récif et paradis du tube, à quelques mètres de nous. Avec l'inlassable conviction que la prochaine sera la meilleure.
Mais déjà l’hydravion doit rentrer avant que ne tombe la nuit. Et ce sont les fronts et les corps ruisselants d’eau salée que nous traversons les orages de mousson, réalisant à peine le rêve d’enfant que nous venions de combler.