Hotdogger #27 en diffusion

IL Y A EU DE LA NEIGE À NOËL

IL Y A EU DE LA NEIGE À NOËL

Après un printemps magique en vagues, c’est un hiver exceptionnel qui passe avec insolence sous le nez des amateurs de poudreuse. Pourtant aller skier pour les congés de Noël ou d’hiver est une fausse bonne idée : tarifs prohibitifs, attente à tous les étages des stations engorgées, et surtout rarement une neige de qualité sur les pistes pour cause de redoux de dernière minute. Sauf que, pandémie oblige et enneigement exceptionnel, 2020/21 est un des meilleurs crus du siècle… sans remontées mécaniques. Et tout le monde l’a compris, elles ne tourneront pas en janvier même si personne ne l’a pour l’instant avoué. Mais il est toujours possible de skier en moyenne comme en haute montagne dans les Alpes ou les Pyrénées. Reportage sur les meilleures options et analyse des quelques controverses qui les accompagnent et devraient perdurer toute la saison 2021. Et, encore une fois, derrière un sujet de nature anecdotique de loisir et de plaisir, se cache la gestion peu rationnelle de nos libertés dans nos démocraties dites modernes. Après l’océan, le second chapitre inattendu : la montagne, dernier bastion de la liberté. Attention spoilers et images pouvant choquer.

(Article mis à jour le 4 et le 15 janvier 2021).

Skier en Europe : le Val d’Aran ou Verbier ?

Placés sous les flashs de l’actualité, la station du Verbier dans les Alpes suisses a connu une fréquentation régulière. Les Français ont pu skier en Suisse et même s’il a été répété à l’envi qu’il faut impérativement un test PCR pour y entrer ou en sortir, cela ne concerne pas les automobilistes mais les voyageurs arrivant par avion (ou par bateau mais on admettra qu’on passe rarement le Mont-Blanc à bord de son voilier à moins de vouloir caboter sur le lac Léman). Le gouvernement fédéral suisse (mais pas les cantons) a déconseillé aux touristes étrangers de venir skier dans ses stations. Le Premier ministre français a finalement pris un décret le dimanche 20 décembre dont l’arbitraire le dispute à l’absurde (et qui avait échappé à notre recherche lors de la première rédaction de cet article). Plus précisément, il élargit aux régions espagnoles et suisses (comme par hasard celles pourvues de stations de ski) le décret qui rend possible la mise en quarantaine des voyageurs qui ne présentent pas de test PCR. On se doute bien que les Espagnols et les Suisses ne sont pas visés et pire, il semblerait que seuls soient ciblés les malheureux qui reconnaîtraient benoîtement (sans obligation de leur part) qu’ils sont allés skier. Comme ces quatre automobilistes dans le même véhicule sur lesquels deux ont été sommés de se placer à l’isolement parce qu’eux seuls avaient avoué avoir dévalé des pistes ! Ainsi, la seule contrainte si on n’a pas de raison professionnelle de se rendre dans les stations suisses ou espagnoles, est de se voir rédiger un décret préfectoral individuel d’observer un isolement de sept jours (contrôlé comme le sont les covid positifs : par des appels téléphoniques de l’Assurance maladie…) qui est immédiatement suspendu sur présentation d’un test négatif.

Pour résumer, il y a donc une obligation potentielle de faire un test PCR… une fois rentré. En revanche, on peut toujours, comme nous le verrons plus bas, aller manger des tapas à Madrid, Saint-Sébastien ou Bilbao.

Carlos FerraRI et les locaux de Baqueira au sommet du blanhiblar le 3 janvier 2021.  Photo : Mathias Bertoux

Carlos FerraRI et les locaux de Baqueira au sommet du blanhiblar le 3 janvier 2021.
Photo : Mathias Bertoux

ce n’est pas parce que les remontées mécaniques tournent qu’on va bouder le plaisir de crapahuter dans la poudreuse… Photo : Mathias Bertoux

ce n’est pas parce que les remontées mécaniques tournent qu’on va bouder le plaisir de crapahuter dans la poudreuse… Photo : Mathias Bertoux

Le cas d’école : la frontière franco-espagnole et les communautés autonomes 

Du côté des Pyrénées espagnoles justement, c’est la station de Baqueira située à trente kilomètres de la Haute-Garonne qui a ouvert le bal le 14 décembre, le directeur de la station déclarait accueillir les skieurs français (et les snowboardeurs rassurez-vous chers lecteurs de Hotdogger) contrairement à ses homologues d’autres stations catalanes. Ils ont ainsi mis en place un système de réservation quasi-exclusif sur Internet pour pouvoir contrôler leur numerus clausus et éviter les files d’attente. Résultat, des pistes que l’on enchaîne à toute vitesse grâce aux remontées débrayables les plus véloces des Pyrénées. Des télécabines où l’on ne monte qu’en bulle familiale ou seul. Certes, la Generalitat de Catalogne a pris le 19 décembre un énième décret de restrictions en plein déconfinement échelonné (qui en était à la première étape), comparable à celui de la Communauté Autonome d’Euskadi. Malgré leurs fortes et nobles identités respectives, les gouvernements basques et catalans ont en commun d’avoir pris comme les Français des décrets dignes du Don Quichotte de Cervantès (on convoquera également le Gulliver de Jonathan Swift). Par exemple, tenez : les décrets ont instauré des dates de mobilité interrégionale et intercommunale permises du 23 au 25 décembre et du 31 décembre au 1er janvier pour, attention, rendre visite à de la famille ou des amis ainsi qu’à tous les propriétaires possédant une résidence secondaire ou les titulaires d’une réservation hôtelière. Pas très restrictif ni très précis… Sinon tout déplacement entre communes, et toute entrée dans ces communautés autonomes espagnoles sont interdites comme dans celles de Navarre et d’Aragon. Les amendes varieraient de 300 à 600 euros. Sauf que, ces restrictions ne sont applicables qu’aux habitants de ces régions, éventuellement aux Espagnols des autres régions si tant est que cela tienne devant les juridictions administratives espagnoles qui ont multiplié les annulations de condamnations prononcées lors du premier confinement. 

Mais surtout, les communautés autonomes espagnoles ne peuvent en aucun cas fermer leur frontière avec la France (ni même le Portugal). Elles n’ont ni la souveraineté, ni le statut d’état, et ne sont donc pas signataires du traité de Schengen qui a consolidé la libre circulation des personnes sur le Vieux Continent et qui rend concret un des piliers de la construction européenne. Seul le gouvernement espagnol peut décider d’une fermeture de ses frontières. Faut-il le rappeler, l’Europe s’est construite sur la liberté de circulation des marchandises, des capitaux et des personnes et ces trois pans sont indissociables. Quelle n’a pas été la pagaille des deux côtés de la Manche au seuil d’un possible Brexit en mode no deal, lorsque pour seulement quarante-huit heures, la France a fermé sa frontière avec le Royaume-Uni pour cause de nouvelle variante du coronavirus ? Les routiers qui ont passé Noël dans leurs cabines s’en souviendront. C’est d’ailleurs ce qu’ont bien imprudemment tenté le mardi 15 décembre, jour du déconfinement français, les Mossos d’Esquadra (la police catalane) du Val d’Aran en bloquant la N230 (construite avec les fonds européens) qui acheva de signifier en son temps l’absence de frontière (une seule voie et sans délestage possible). Ne pouvant se poster à la frontière car n’en ayant pas l’autorité (seule la Guardia Civil, police nationale, en a la compétence), ils se sont installés au niveau de Bossòst la deuxième commune espagnole que l’on rencontre sur la route de Baqueira et ce, pour intimer l’ordre aux non-Catalans de faire demi-tour. Embouteillage monstre, et une opération d’intimidation qui a tourné au fiasco (aucune amende rapportée à ce jour, si des documents existent nous sommes bien sûr demandeurs), provoquant l’ire du maire de la ville qui n’avait pas besoin qu’on bloque cet axe important de la route de Toulouse à Leida (et donc Madrid). Les jours suivants, les Mossos ont dû laisser circuler les rares Suisses, Britanniques, Français qui se déplaçaient librement en Espagne.

Car si ces amendes ne semblent pas avoir de base juridique solide concernant les ressortissants de l’espace Schengen, les décrets de restrictions sont contraints de prévoir la possibilité de laisser tout ressortissant européen transiter par leurs territoires et il est donc impossible de déterminer qui va skier, ou se rend simplement dans un hôtel, ou fait de la randonnée (et ce, d’autant qu’en matière de contravention les perquisitions donc les ouvertures de coffres sont impossibles). Qu’enfin (et si vous suivez toujours cet épineux paragraphe) si tant est qu’une contravention pourrait être établie, et même pour ceux qui se fatigueraient d’avance de devoir entreprendre une contestation, seules les graves infractions au code de la route bénéficient d’une timide collaboration entre états pour leur paiement. Donc non, la frontière n’est pas fermée et quelques frontaliers sont allés « au sud » ou « au nord » car les polices basque ou catalanes n’empêchent pas davantage leurs citoyens de venir en France. Le décret français imposant un éventuel test PCR ne comprend d’ailleurs pas la Communauté Basque Autonome pour ceux qui sont en manque de pintxos… ou qui voudraient aller au cinéma ou au musée à Saint-Sébastien ou Bilbao. Car côté espagnol, il y a un décret du 23 novembre qui précise la nécessité d’un test PCR qui comme, nous l’avons vu, s’impose aux arrivées portuaires et aériennes seulement et qui précise on ne peut plus clairement que “dans le cas des Communautés autonomes frontalières de la France et du Portugal, les mesures de limitations d’entrée et sortie des personnes des territoires de chaque communauté n’affectent pas le régime des frontières”.

Les joies du journalisme d’investigation en temps de pandémie.

Les joies du journalisme d’investigation en temps de pandémie.

Baqueira le 23 décembre 2020

Baqueira le 23 décembre 2020

Fondre sur le ski de fond

Autre option pour celui à qui les nuances du droit donne des migraines, celle de gravir les versants français en peaux de phoque synthétiques puisque comme le Premier ministre a tenu bon de le confirmer, il appartient à tout Français de se rendre « à loisir » dans les stations de ski. Les stations de moyenne montagne confortées par le bel enneigement de la fin décembre ont pu ainsi accueillir leurs touristes presque à un niveau normal, et le ski de randonnée fait fureur (on verra quand même s’il n’est pas pour le coup un peu « accidentogène » quand même d’envoyer tant de novices sur des champs non balisés plutôt que sur des pistes damées). En revanche, s’avaler six cents mètres de dénivelé peut s’avérer d’une violence extrême même pour un sportif régulier. Car à toute nouvelle activité physique apparaissent des muscles et des douleurs insoupçonnés... C’est en revanche une belle récompense que de découvrir des champs de poudreuse assurément immaculés et d’être le seul à y laisser sa trace. Un équipement ARVA semble cependant indispensable, et mieux encore, l’accompagnement d’un professionnel ou d’un snowboardeur local aguerri.

Mathias Bertoux le 26 décembre à Barèges.

Mathias Bertoux le 26 décembre à Barèges.

Mathias Bertoux le 26 décembre à Barèges.

Mathias Bertoux le 26 décembre à Barèges.

Un art de vivre sacrifié

Hormis cette dernière solution élitiste, on se rend compte que le ski alpin et le snowboard ont été sacrifiés sur l’autel d’une représentation contradictoire des sports d’hiver coincée entre l’entassement des masses dans de minuscules espaces de vie et son exact opposé, celle d’un sport de riches qui organiseraient d’énormes soirées dignes de celles de Neymar, comme si Courchevel était l’alpha et l’oméga de l’art de vivre la montagne. La station familiale de Val Louron dans les Hautes-Pyrénées où la fréquentation est toujours fluide appréciera. Bien sûr l’indemnisation des professionnels rend à court terme les choses plus supportables. Mais est-ce vraiment souhaitable ? Et si leurs homologues des plages avaient connu pareil sort cet été, auraient-ils envisagé la morne saison aussi sereinement ? Ils ont pourtant connu des ineptes plages dynamiques qui n’ont fort heureusement guère perduré. On ne s’attardera pas sur le caractère « accidentogène » du ski qui nous a été déjà servi pour le surf lors du premier confinement, alors que très peu de skieurs finissent aux urgences, mais plutôt dans des cabinets de médecins de montagne.

Evidemment, un reconfinement national viendrait clore les débats. Pour un temps seulement car il y aura forcément un avenir proche où les interdictions ne suffiront plus à gérer, ni le vaccin ne permettra de rouvrir les vannes, pour ne pas reprendre l’expression bétaillère de “lâcher la bride” du Premier ministre, et où il faudra vraiment penser à des manières de vivre et de se réunir qui permettent d’étaler et de juguler les flux. Tout comme pour les cinémas, les théâtres, les musées et les restaurants comme l’a tenté la célèbre salle de concerts de l’Apolo à Barcelone. Pour faire évoluer les mentalités et apprendre à privilégier les grands moments même en petits comités un peu espacés. Là aussi, l’imagination sera bien obligée de revenir au pouvoir.

 

 

 

DUVIGNAC À LA RAME

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LE MIRAGE DE SKELETON

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